Aujourd’hui direction un petit village gardois, célèbre pour son appellation, situé sur les coteaux bordant la rive droite du Rhône entre le pont d’Avignon et le pont du Gard. Rencontre avec une viticultrice qui déborde d’énergie et de générosité : Maguy Roudil, Secrétaire générale du Syndicat des Vignerons de Tavel, adhérente de la Cave des Vignerons de Tavel et coorganisatrice de l’événement Couleur Tavel. Portrait.
Pilote d’hélicoptère, professeur de sport ou styliste… Maguy avait d’autres ambitions. Mais le destin - ou plutôt Devaquet et sa réforme de l’automne 86, en ont décidé autrement : "Je devais me rendre à Paris pour passer un concours dans une école de dessin. Faute de trains en pleine période de grève, c’est un rêve qui n’a pu voir le jour." Maguy opte alors pour un cursus universitaire à Montpellier qui lui vaudra un Bac+ 6… mois. "Je rentrais le week-end à Tavel. Au fil des semaines, je repoussais mon retour dans la ville étudiante. Mes études en LEA ne me plaisaient pas ! Je n’avais qu’une idée en tête : travailler au sein de la cave familiale".
Car chez les Roudil, la viticulture est bel et bien une histoire de famille. Une activité familiale qui remonterait au 16ème siècle ! Son arrière-grand-père Aimé Roudil a créé la délimitation de l’aire de production des vins de Tavel. Chevalier du Mérite Agricole, il fut le Président du Syndicat des Propriétaires-Viticulteurs de Tavel de 1923 à1938 et Vice-Président du Syndicat général des Vignerons des Côtes du Rhône. "Il était un ami du Baron Le Roy et se retrouvaient autour d'un bon civet de sanglier. Après maintes réunions à Paris, ils fondaient les AOC en France dont Châteauneuf-du-Pape et Tavel en 1936. Puis c’est mon grand-père qui a repris la tête de l’exploitation, avant de la confier à quatre de ses enfants, dont mon père."
En 1988, Maguy rejoint la cave familiale. Un domaine qui s’étend sur 65 ha et au sein duquel elle se voit confier différentes tâches. Curieuse, audacieuse, passionnée, elle est une véritable touche à tout : "Du bureau à la livraison, en passant par le décuvage, la mise en bouteille, le travail de la vigne… Je me souviens de mon premier cours de taille avec mon père et mon grand-père Gabriel. Un véritable moment de partage, de transmission, de passion. Le virus était en moi ! A chacune des étapes de la vie du domaine, j’ai énormément appris auprès de personnes qui ont su me considérer comme une employée lambda. Je leur suis très reconnaissante." Maguy se souvient aussi de ces moments où elle quittait l’enceinte de la cave pour livrer les restaurants : "Je partais en fourgon et arpentais un triangle entre Aix-en-Provence, Montélimar et Montpellier. Des contacts directs et privilégiés avec les chefs. Autour du piano, de fabuleux moments d’échanges culinaires et de partages sur les accords mets et vins."
En 1992, le père de Maguy quitte le domaine familial pour rejoindre la cave coopérative de Tavel. "Une étape douloureuse, mais ma mère et moi étions avec lui !" Après une année de formation en tant que jeune agricultrice, elle apprendra "sur le tas" auprès de son père, sur l'exploitation de 15 ha. "A 78 ans, il est toujours actif. Pendant les vendanges, il est à mes côtés. Il ne me le dit pas, mais je crois qu'il est fier de moi."
Depuis, Maguy œuvre sur l’exploitation avec passion et fait partie de ceux qui agissent pour une viticulture respectueuse de l’environnement : "Pour combattre le mildiou et l’oïdium, les anciens traitaient du 15 avril au 15 juillet tous les 15 jours. En 1992, une poignée de viticulteurs ont mis en place une commission technique. J’ai rejoint des groupes de lutte raisonnée destinés à réduire le nombre des interventions chimiques dans nos vignes. Résultat : de 10 à 12 traitements par an, nous sommes passés à 6, voire 5. Nous avons choisi de travailler avec la nature."
Les parcelles sont observées avec soin et le recours aux traitements n’est effectif que lorsque ceux-ci sont nécessaires. Les vignerons tavellois font figure de précurseurs avec la réalisation de plusieurs fosses pédologiques pour analyser les strates successives sur 3 à 4 mètres de profondeur. "Ce travail nous permet de comprendre les sols dans lesquels sont enracinées nos vignes et de mieux les protéger." Un respect des sols qui préserve la typicité des vins de Tavel issus des trois terroirs de l'appellation : les galets roulés du Plateau de Vallongue offrent des vins puissants et vineux, les sables et cailloutis dans la partie basse de Tavel des vins fins et légers et les lauzes calcaires du quartier des Vestides des vins au caractère et à la minéralité hors du commun.
En plus de son travail à la vigne et des tâches administratives "aussi rebutantes qu'elles peuvent être passionnantes", Maguy a été responsable de différentes commissions au sein du Syndicat de l'ODG Tavel. "Route du Vignoble, lutte raisonnée, dégustation, lien au terroir, commission des sols, bornes à eau, Rose de Tavel, baptême promo sommelier de l'Ecole Hôtelière d'Avignon, accueil des journalistes étrangers, visite du vignoble... Le travail de fond est multiple et varié. Nous venons de terminer un dossier de délimitation de l'aire de production ouvert en 1977 ! Et puis, il y a Couleur Tavel. Nous en sommes à la 5ème édition, fête devenue événement grâce à l'implication d'une poignée de volontaires qui œuvrent tout au long de l'année. Alliance de vins de Tavel, dégustation, culture, gastronomie, musique, patrimoine... C'est un an de travail intense. Mais au final, une grande satisfaction de voir 10 000 personnes amoureux du Tavel pour un village de 1980 âmes."
En quelques années, l'expression aromatique des rosés de Tavel s'est considérablement améliorée grâce aux talents de ses vigneronnes et vignerons. Des vins ambitieux et complexes, à l'équilibre exceptionnel, que l'on peut consommer tout au long de l'année, depuis sa prime jeunesse jusque dans de vieux millésimes.
"Le Tavel a plusieurs vies. Bu dans l'année, c'est un régal. Si vous l'oubliez dans votre cave, après 5 voire même 15 ans, n'hésitez pas. Débouchez-le et attendez-vous à une belle surprise ! Le Tavel est un vin de gastronomie qui s'accorde à merveille avec de nombreux mets, depuis l'apéritif jusqu'au dessert. Nous ne sommes pas un rosé de mode mais plutôt un vin inclassable. Il y a le rouge, le rosé, le blanc... et le Tavel !"
Aujourd'hui, Maguy aspire à se dégager du temps sur toutes les commissions et envisage de se tourner vers l'œnotourisme. Pas sans avoir bouclé son dernier dossier consacré à la rénovation de la Maison des Vins. "J'ai beaucoup appris des autres, je veux transmettre ma passion, l'amour de mes vignes, de mon village et du Tavel. J'ai rencontré deux "OVNI" dans ma carrière : Christophe Delorme, trop tôt disparu et Eric Pfifferling. C'est grâce à eux, leur passion et leur philosophie que j'aime encore mon métier. Les gens sont curieux de tout. Le vin doit être connu et accessible comme un ami et non comme une star... Et de conclure en riant : même si nous sommes le 1er rosé de France !"